Loi renseignement
La loi renseignement venant d’être adoptée et validée par le Conseil Constitutionnel, est-il vraiment utile d’y revenir ? Oui, ne serait-ce que pour connaître les arguments avancés par les uns et les autres pour la justifier ou continuer de l’attaquer.
Voyons tout d’abord ce qui a été retoqué par le Conseil.
Le principe d’urgence opérationnelle, qui devait assurer la mise en place d’écoutes par les services sans l’accord du Premier ministre n’a pas été validé par le Conseil parce qu’il porte une atteinte manifestement disproportionnée au droit au respect de la vie privée et au secret des correspondances.
Idem pour le passage traitant des mesures de surveillance internationale lui aussi retoqué. Le législateur n’a pas déterminé les règles concernant les garanties fondamentales accordées au citoyen pour l’exercice des libertés publique.
Enfin, une disposition, jugé mineure selon le Conseil, relative aux lois de finances, n’a pas été validée.
Selon le président de la République (qui avait saisi lui-même le Conseil), cette censure partielle ne modifie en aucune façon l’équilibre de la loi et ne prive pas les services de renseignement de leurs moyens d’agir pour la protection de nos intérêts et la sécurité des Français.
La quadrature du net rappelle pour sa part que le Comité des droits de l’homme de l’ONU s’est inquiété des pouvoirs excessivement larges de surveillance que le texte donne aux agences de renseignement.
Elle remarque également que, le Conseil ayant déclaré la surveillance internationale anticonstitutionnelle, héberger nos données hors de France, pourvu qu’on s’y connecte de façon sécurisée, permettra d’échapper aux boîtes noires.
Reste à voir ce que feront les hébergeurs français. N’excluons pas le fait qu’en cas d’exode massif des fermes de données, une opportune taxe aidera à leur relocalisation…
Sur son blog, Jean-Jacques Urvoas, rapporteur de la loi déclare :
C’est une profonde satisfaction de constater la validation des choix opérés par une écrasante majorité des députés puis des sénateurs. Ainsi le Conseil a méthodiquement confirmé la compétence effective du « seul » juge administratif dans le contrôle des services de renseignement, « jugé conforme » la définition des finalités des services loin des critiques sur leur prétendue « imprécision », reconnu que les termes de la loi respectaient les exigences de clarté et de sincérité qui doivent caractériser les lois de la République, validé l’existence, la composition et les compétences de la nouvelle autorité administrative indépendante (CNCTR) souhaitant même l’étendre aux dispositions relatives à la surveillance internationale, entériné les modalités de la procédure « d’urgence absolue » mais a rejeté celles de « l’urgence opérationnelle » qui furent l’objet d’un échange approfondi lors des débats en commission des lois de l’Assemblée nationale le 1er avril, apprécié la protection législative de la vie privée et de la liberté d’expression en encadrant de manière rigoureuse l’exercice des moyens confiés aux services de renseignement.
Le Conseil a censuré les dispositions relatives à la surveillance internationale estimant d’une part que la loi n’était pas suffisamment précise et d’autre part laissant ouverte la possibilité de la compléter ultérieurement. En effet celle-ci renvoyait à un décret pris en Conseil d’État les conditions d’exploitation de conservation et de destruction des éléments collectés.
Aux termes d’un débat permettant un travail législatif de qualité et après une saisine exceptionnelle du Président de la République qui témoignait de sa particulière et constante attention aux droits fondamentaux, ce texte fait enfin entrer notre pays dans la norme européenne. Les zones d’ombres sont maintenant dissipées et les craintes qui ont pu s’exprimer viennent de trouver la solide et rassurante réponse du Conseil Constitutionnel.
Dorénavant la France dispose d’une législation complète et cohérente encadrant les activités des services de renseignement. Leur efficacité y gagnera tout comme la protection des libertés individuelles et collectives.
Tous les députés n’approuvant pas cette loi, on trouvera ici le mémoire en réplique présenté par les députés signataires du recours dirigé contre la loi relative au renseignement.
La loi est donc passée. Finalement, que retenir de tout ce débat ? Ce que déclare Roseline Letteron dans un billet de son blog :
Ce texte offrait au Conseil l’opportunité de rendre une « grande décision » en consacrant la valeur constitutionnelle du principe d’Habeas Data, considéré comme un élément du droit à la sûreté.
La commission (CNCTR) est donc plus administrative qu’indépendante, dès lors que l’autorisation est finalement donnée par le Premier ministre. Que l’on ne s’y trompe pas. Le Conseil ne s’interroge pas sur l’indépendance de l’institution, mais sur son budget. Seule est sanctionnée la procédure d’urgence opérationnelle, qui pourtant n’était pas mentionnée dans la lettre de saisine des parlementaires.
L’article 66 de la Constitution énonce que l’autorité judiciaire est « gardienne de la liberté individuelle ». Or, le juge judiciaire est totalement absent de la loi renseignement. Pour encadrer les pratiques des services, elle prévoit la double intervention de la CNCTR et du Conseil d’État.
On avait espéré que le Conseil profiterait de l’occasion qui lui était donnée par cette saisine pour consacrer le principe d’Habeas Data et affirmer ainsi que la protection des données personnelles est, en soi, un élément de la sûreté, justifiant l’intervention du juge judiciaire. Le Conseil a refusé de saisir cette opportunité et la grande décision attendue n’est pas intervenue. Au contraire, la décision se caractérise par sa sécheresse, sa tendance à privilégier l’affirmation sur l’explication, son absence totale de réserve d’interprétation qui aurait pu guider l’application de la loi.
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