Le temps, iceberg de la cyberstratégie (2/4)

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La contraction du temps

Après une phase d’accroissement du débit de l’Internet et d’expansion concomitante du contenu qui pouvait y être échangé, les débats sur la neutralité du net laissent penser qu’une réduction, voire une contraction des échanges risque d’être bientôt de mise.

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En effet, si des règles de priorité sont mises en place, la lutte pour bénéficier d’un régime prioritaire risque d’être particulièrement féroce. De même, la conception des algorithmes définissant ces règles de priorité sera l’occasion d’un affrontement rude.

Anticipation de cette tendance ou heureuse simultanéité, la course à la concision sur l’Internet a été lancée, twitter en étant l’exemple parfait : il faut écrire un message en moins de 140 signes. Véritable défi en des temps où la parole n’est pas maîtrisée ni même modérée !

Cette contraction de la parole a eu pour corollaire une contraction du temps. La brièveté des messages impose une réaction rapide pour ne pas être en décalage avec les échanges qui ont eu lieu, pour ne pas laisser penser que ce réseau social a été déserté.

Le temps court est donc devenu la règle, la course à l’instantanéité devenant permanente et obsessionnelle. L’Internet mobile en est une autre illustration : il faut être connecté en tous lieux et en tout temps afin de pouvoir répondre aux diverses sollicitations qui nous parviennent.

L’importance semblant prise par le temps court, ainsi déduite de l’observation des événements ayant lieu dans le cyberespace peut nous laisser croire que, de même qu’il a semblé aux astrophysiciens que l’univers se contractait, le temps se contracterait dans le cyberespace.

Les propriétés de cet espace corroborent ce constat : le cyberespace permet notamment une certaine ubiquité jusqu’alors jamais obtenue. Bien que physiquement à un emplacement, il est possible à toute personne de communiquer avec d’autres, quelle que soit leur localisation. Reconnaissons cependant que l’utilisation du terme ubiquité est un abus de langage, car elle n’existe de fait pas, mais nous en avons l’illusion grâce à tous les moyens utilisant le cyberespace (ordinateurs, logiciels). Le cyberespace n’abolit pas encore le décalage horaire, mais il contracte fortement le temps de trajet pour rencontrer des personnes à l’autre bout du monde.

Cette quasi ubiquité se remarque également lorsque nous revenons à la stratégie, qui est le principal sujet de cet article.

En effet, bien qu’œuvrant sur le sol américain, les pilotes de drones délivrent leurs frappes sur des théâtres d’opérations extérieures, semblant faire fi cette fois du décalage horaire : c’est cependant l’opérateur du drone qui doit se soumettre aux contraintes temporelles de son ennemi, montrant encore, s’il en était besoin, que le temps et l’ennemi sont deux facteurs du raisonnement tactique1.

Abordons les cas de l’Estonie et de la Géorgie qui sont pour l’instant les meilleures illustrations de l’utilisation du cyber dans la guerre, et non de la cyberguerre comme le rappelle Olivier Kempf. Dans ces deux cas, le cyberespace a été utilisé pour mener des agressions contre ces deux pays, vraisemblablement à l’instigation des Russes puisqu’un conflit, larvé pour l’Estonie, ouvert pour la Géorgie, mettait aux prises ces deux pays avec la Russie.

Dans les deux cas, la rapidité des frappes a laissé penser à leur quasi-instantanéité, d’autant plus que personne n’en a vu les préparatifs (ou plus précisément, personne n’en a annoncé les préparatifs).

Nous voyons donc que, tant pour le civil que pour le militaire, le cyberespace tend à faire prédominer le temps court. Cela aurait alors pour conséquence un nouveau rapport au temps en ce qui concerne la stratégie, les conflits des siècles derniers nous ayant montré qu’elle ne se bâtissait que sur le temps long.

Mais cette mise en avant du temps court est-elle conforme à la réalité ? Ne serait-elle pas plutôt illusoire ?

En effet, si la délivrance des frappes tend vers l’instantanéité, se focaliser sur ce temps court revient à négliger l’indispensable temps de préparation : formation des ingénieurs, conception et tests des logiciels, prise en mains de ceux-ci, etc.

Puisque la brièveté du temps semble de mise dans le cyberespace, cela signifie-t-il que sa longueur n’a plus aucune importance, qu’elle est abolis ? Penchons-nous maintenant plus profondément sur la question du temps long dans le cyberespace et donc de son impact sur la cyberstratégie.

A suivre…

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1Yakovleff, Tactique théorique.

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