Nouvelle armée

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Plaidoyer, demander, militer pour une armée nouvelle est un marronnier de la littérature militaire ou de la littérature qui se pense telle. Jaurès a écrit « l’armée nouvelle », après l’armistice de 1940 le gouvernement a recruté des membres pour son armée nouvelle, le commandant La Vardière a écrit « Pour une armée nouvelle » en 1957, bref, la nouveauté est classique.

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Connaissant sûrement ses classiques, l’actuel ministre de la défense ne parle pas d’armée nouvelle, mais de création d’une 4° armée, en sus des 3 (?) existantes : terre, air et mer. Les camarades gendarmes peuvent donc aller se rhabiller, à moins que les conseillers du MinDef pensent encore que la gendarmerie est une sous-direction de la cavalerie… Serait-il temps pour eux de changer de logiciel ?

Car c’est bien de logiciel qu’il s’agit !

Et de la création d’une cyber armée !

Comme nous l’apprenons par voie de presse, « D’ici à 2019, l’armée française va se doter d’un nouveau commandement de la cyberdéfense de 3 200 personnes, dont 2 600 cybersoldats et 600 experts. L’État va ainsi y consacrer un milliard d’euros sur l’ensemble de la durée de la loi de programmation militaire, de 2014 à 2019. L’enjeu est en effet de taille car la plupart des infrastructures et des équipements gouvernementaux français doivent être cybersécurisés, dans un contexte de cyberattaques étrangères de plus en plus massives. » « L’émergence d’un champ de bataille cyber doit nous amener à repenser profondément notre manière d’aborder l’art de la guerre […] comme l’aviation au début du XXe siècle », a déclaré le ministre. Voyons donc ce qu’il en est, sans épiloguer sur le fait que découvrir le danger cyber au moment de clore un mandat présidentiel donne une impression de…

Selon le ministre, un nouveau champ de bataille entraînerait nécessairement l’apparition d’une nouvelle armée pour y faire la guerre. Cet argument pourrait être balayé d’un revers de main (où sont les guerriers économiques, les guerriers informationnels, les guerriers psychologiques, etc., etc. ?), mais ce serait, cher lecteur, vous laisser sur votre faim.

Poursuivons donc un peu, quand bien même Echoradar a déjà abordé ce sujet.

L’évolution des champs de bataille et des armes

La remarque du ministre semble cependant à première vue pertinente, dans la mesure où la guerre initialement terrestre, a envahi d’autres espaces au fur et à mesure de leur colonisation par l’homme. Elle est devenue navale, puis aérienne. Elle devrait donc devenir cyber.

Temps mort : remarquons au passage que la guerre spatiale est toujours dans les cartons…

Les armes, initialement terrestres, se sont également développées pour s’adapter aux autres champs de bataille. On pourrait presque dire qu’au fur et à mesure du temps, elles se sont extraites de leur gangue terrestre pour gagner d’autres milieux. En effet, ce que les bateaux et les avions s’échangent, les combattants au sol se les envoient également, à quelques bémols près comme les systèmes de guidage autonomes (et encore). Mais les canons des bateaux fonctionnent comme ceux des artilleurs (ils envoient le même type d’obus, sauf ceux de la marine qui sont si pointus, sont si pointus…), les torpilles et les missiles sont les héritiers des missiles terrestres.

Donc pas de révolution dans les armements, une simple adaptation à un nouveau milieu.

Quant à adapter l’art de la guerre à un nouveau milieu, la circonspection s’impose. En quoi la guerre navale obéit-elle à des principes différents de ceux de la guerre terrestre ? Que la tactique diffère, certes, de même qu’on ne fait pas la guerre dans le désert comme en ville, mais les principes généraux (de Foch par exemple), demeurent.

Le cas du cyberespace

Dès lors, si le cas des autres théâtres est ainsi expédié, n’en serait-il pas de même pour le cyber ?

Ce serait aller un peu vite en besogne, dans la mesure où le cyberespace a été créé de main d’homme, et que de plus, il dépend d’une alimentation en énergie : plus d’électricité, plus de cyber… Donc, avoir la suprématie cyberienne revient-il à éteindre le courant de son adversaire ? Oui, mais si et seulement si les réseaux électriques ne sont pas interconnectés. D’autres questions se posent.

Créer une armée adaptée à un nouveau théâtre/milieu/champ de bataille revient à vouloir y chercher la supériorité. J’ai parlé dans un billet précédent de la supériorité algorithmique. Mais avoir la supériorité algorithmique n’entraîne pas encore (pour l’instant) la maîtrise du cyberespace, car si mes algorithmes sont les plus efficaces, tout le monde peut quand même en concevoir et les traduire en programmes. Et un programme écrit à partir d’un algorithme peu propre peut quand même être efficace.

Est-il possible de gagner une guerre ou de neutraliser l’ennemi en maîtrisant ce champ de bataille ? Pas sûr. Supposons que l’Empire maîtrise le cyberespace. Il possède quand même sur son territoire des Amish que cela indiffère profondément. Et quid de la guerre asymétrique dans le cyber ?

Enfin, le cyberespace est-il vraiment un champ de bataille où l’on fait la guerre ? Ce dernier terme est tellement galvaudé par ceux qui ne la feront jamais (car ils sont planqués ont de hautes responsabilités qui les empêchent de la faire : revoir ce que le podesta dit de sa participation à la guerre dans Le Christ s’est arrêté à Eboli)) mais se donnent ainsi une décharge d’adrénaline à coût restreint, que l’on peut douter de la réalité de la guerre dans cet espace.

De plus, aucune arme de la vraie vie n’est transposable dans le cyber, seul son mode de déclenchement peut utiliser cet espace. D’ailleurs, qu’est-ce qu’une cyberarme ? Ce n’est pas parce que des instructions transitent par le cyberespace que l’on fait la guerre dans le cyber, ni qu’on mène une cyberguerre. Estime-t-on que les artilleurs menaient des guerres aériennes au simple fait que les obus volaient dans le ciel ?

Et ailleurs

Puisque les réflexions purement nationales ne peuvent suffire, allons donc voir ailleurs comment cela se passe.

L’Empire a son cybercommand, encore relié à la NSA, même si (le grand) Barack a cherché à l’en séparer. Il existe aussi une cyberarmy qui dépend de l’armée de terre. Bref, l’exubérance américaine…

En Israël, la situation est plus intéressante. Alors que la création d’une cyber armée était engagée en juillet 2015, le scepticisme a fait son chemin depuis. Pour quelle raison ? “We do so with caution so as not to make any mistakes, mistakes that have been made elsewhere, and to not harm things that are currently working well. At the same time we are strengthening our intelligence gathering area, and in light of our achievements, that is something that we do not want to hurt,” the senior officer said.

Donc ?

Se pose alors la vraie question que nos journalistes experts, spécialistes de la Défense, que le monde entier nous envie (comme notre système de soins, sûrement) : est-ce vraiment utile, et cette création permettrait-elle « le succès des armes de la France » ? Car, comme le rappelle fort justement Frederick Douzet ici « avant de répliquer par des moyens cyber contre une cible, il faut quand même atteindre un degré de certitude suffisant. »

Sinon, ce sera encore une annonce médiatique comme nous en avons l’habitude, dénuée d’intérêt sauf celui de pouvoir accuser son successeur de casser ce qui a été construit.

Plaudite cives !

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