Bouc émiss(yb)aire
Tout va mal, tout va mal ! La preuve, notre belle campagne présidentielle est polluée par, par, par qui au fait ? Il y a quelques années, c’était la faute de la bombe atomique qui déréglait le climat. Maintenant, ce sont les Russes, enfin les sbires de Vlad, qui nous pourrissent la vie. Mais comme ils n’ont pas le courage de leurs actes, ils le font via le cyber sans avouer leurs méfaits…
Ne serait-ce pas un peu simpliste ?
Il pourrait être utile de se pencher sur la question du bouc émissaire, que René Girard (1923 – 2015) a étudié en son temps.
L’occasion nous est fournie par un intéressant article de Polemos sur l’hystérie cyber actuelle. « En effet l’interconnexion absolue du cyberespace, pour bénéfique qu’elle soit, offre également à chaque acteur malin la possibilité d’agir sur n’importe quel point du réseau. Il en ressort la capacité pour des acteurs individuels ou collectifs, criminels ou étatiques, d’attaquer qui bon leur semble, sans sortir de chez eux. »
Les candidats sont potentiellement légion… Mais, ce serait trop simple.
En effet, « Depuis 2014, l’ennemi a changé. Jusqu’à cette date, la Chine avait des airs de grand méchant du cyberespace et les rapports se multipliaient pour désigner tel centre de recherche ou telle unité militaire (la fameuse 61398 de l’Armée populaire de libération) comme le lieu d’origine des cyberagressions. Depuis cette date la Russie a remplacé la Chine, au point qu’il est légitime de se demander si Pékin n’a pas subi une régression sans précédent de ses capacités cyber, vu que plus aucune attaque ne semble en émaner. Au contraire, la Russie dont on mettait en avant le savoir-faire tactique depuis la Guerre en Géorgie, mais dont on pointait les lacunes techniques, est devenu le nouveau cyber-ogre. »
Et donc, pour ne pas avouer qu’on est dépassé et qu’on y comprend rien (j’ai même entendu
Vois-tu donc, mon cher frère, quand bien même bouc ou ours,
Malgré nos efforts nos efforts nous ne serons bisounours.
, dit très sérieusement, par quelqu’un qui se veut très sérieux, qu’il était plus gênant d’être espionné par les Russes que les Américains, car les Américains sont nos alliés…) « La théorie du bouc émissaire s’insère donc bien dans les logiques du cyberespace, où il prend en ce moment des allures d’ours russe. »
Du bouc à l’ours. Cela pourrait faire une belle fable de La Fontaine « le bouc et l’ours » dont a morale pourrait être :
Bouc ou ours, dans le règne animal,
Nous voilà frères, ce qui n’est pas banal !
Ou encore
Vois-tu donc, mon cher frère, quand bien même bouc ou ours,
Malgré nos efforts nous ne serons bisounours.
Cet amalgame est tellement plus simple. Et remarquons au passage que les critiques des théories du complot ne se penchent jamais sur le complot russe destiné à faire échouer les élections du monde libre…
Il y a quelque temps donc, René Girard a écrit des choses intéressantes sur le bouc émissaire. Selon lui, cette désignation permet, non de calmer la colère des Dieux (jamais prouvée au demeurant), mais surtout celle des hommes : « En proie à une violence meurtrière, la société primitive se choisit spontanément, instinctuellement, une victime, qui jouera le rôle à la fois de pansement et de paratonnerre. De pansement, parce qu’elle va recueillir en sa seule personne toute l’agressivité diffuse et soigner le mal ; de paratonnerre parce qu’elle sera remobilisée, sous forme symbolique, chaque fois que la communauté replongera dans la violence. » Reconnaissons que cela concorde parfaitement avec notre époque de tensions exacerbées, dont l’origine est énigmatique, mais qui permettent de tenter de rebâtir une cohésion, ou de faire détourner les regards des difficultés internes…
« Le bouc émissaire humain n’est pas tiré au hasard ; c’est un personnage que ses qualités victimaires prédisposent à occuper la fonction de bouc émissaire. Afin d’expulser cette violence intestine, le bouc émissaire doit en effet correspondre à certains critères. Premièrement, il faut que la victime soit à la fois assez distante du groupe pour pouvoir être sacrifiée sans que chacun se sente visé par cette brutalité et en même temps assez proche pour qu’un lien cathartique puisse s’établir (on ne peut expulser que le mal qui est en nous…). » Vlad, n’entends-tu pas comme un appel ? Tu n’es pas très loin mais pas trop proche quand même, car tu as de grandes dents comme le méchant loup chez Mère grand…
« Deuxièmement, il faut que le groupe ignore que la victime est innocente sous peine de neutraliser les effets du processus. » D’où de multiples campagnes de presse, voire des matraquages. Car une question simple demeure : où sont les preuves ? C’est ainsi que nous apprenons ici l’identité de l’auteur du piratage de TV5 Monde, la télé que tout le monde regarde : Vlad, koniechno ! Il pensait être à l’abri sous les oripeaux du cyber califat, mais c’était sans compter sur nos excellents limiers du Monde ! Le Monde, le journal que le monde entier nous envie !
« Troisièmement, le bouc émissaire présente souvent des qualités extrêmes : richesse ou pauvreté, beauté ou laideur, vice ou vertu, force ou faiblesse. Enfin, la victime doit être en partie consentante afin de transformer le délire de persécution en vérité consensuelle. Dans les mythes, c’est souvent un prisonnier de guerre, un esclave, un enfant informe, un mendiant. » Nous y sommes (il est riche de son cyberarsenal, le bougre !), à l’exception de la partie consentante, mais ce n’est pas grave, nos communicants s’en sortent à merveille : Barack a expulsé des diplomates russes, Vlad n’a pas répondu, signe qu’il accepte la décision du Nobel de la paix (par définition ne peut être un va-t-en guerre). Ceci dit, c’est vraisemblablement le défaut de ce dernier élément qui fait que, bien que cherchant un bouc émissaire, cela ne marche pas, car la victime désignée n’est pas consentante…
Alors, si le bouc émissaire refuse son rôle de bouc, que peut-il se passer ? Le bouc peut-il subir le même sort que la chèvre de monsieur Seguin ?
C’est une bonne question.
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