Retour vers la donnée
Après tout ce qui a été dit, redit et écrit sur la donnée, est-il encore utile d’en parler ? Ou, plus exactement, peut-on trouver quelque chose de nouveau, qui n’a pas encore été dit ?
Deux articles méritent le détour, ainsi qu’un sous-titre à ce billet : « en passant par l’algorithme »…
Le premier, un peu vieux (10/2014), est écrit par Antonio Casili et nous entraîne dans les méandres de la vie privée. Partant des propos de ScottMcNealy, PDG de Sun (vous n’avez plus de vie privée, il faut tourner la page) qu’il commente ainsi : il y a là non seulement un jugement sur la disparition prétendue de la vie privée mais en plus une injonction de nature morale : « tournez la page, dépassez ce stade », comme s’il s’agissait pour les individus de réaliser un travail sur eux-mêmes, en entrant dans une nouvelle phase de leur vie, il affirme que notre vie privée n’a pas disparu, malgré les propos très marqués idéologiquement de certains propagandistes du marché. Au contraire, elle s’est transformée qualitativement. Elle a cessé d’être définie comme un droit individuel, tel qu’il a été conçu à la fin du XIXe siècle, pour devenir une négociation collective. C’est un changement de statut de la vie privée. Voilà le défi actuel : cerner à nouveau et défendre ce principe.
Le second, plus récent (22/01/2016) est l’œuvre d’Antoinette Rouvroy et décentre le débat de la donnée (L’urgence, aujourd’hui, c’est de se confronter à ce qui fait réellement problème plutôt que de continuer à fétichiser la donnée personnelle tout en flattant l’individualisme possessif de nos contemporains à travers des promesses de contrôle individuel accru, voire de propriété et de libre disposition commerciale de chacun sur « ses » données.), pour le recentrer sur ce qui importe vraiment : L’enjeu, ce n’est pas la donnée personnelle, mais bien plutôt la disparition de la « personne » dans les deux sens du terme. Il nous devient impossible de n’être « personne », d’être « absents » (nous ne pouvons pas ne pas laisser de traces) et il nous est impossible de compter en tant que « personne ».
Or, elle constate que les traces électroniques, au lieu d’être remises à leur juste place Les traces parlent de/pour nous mais ne disent pas qui nous sommes : elles disent ce dont nous sommes capables. sont sacralisées On est dans une logique purement statistique, purement inductive. Il ne reste aux « sujets » plus rien à dire : tout est toujours déjà « pré-dit ». Les données parlent d’elles-mêmes ; elles ne sont plus même censées rien « représenter » car tout est toujours déjà présent, même l’avenir, à l’état latent, dans les données.
Elles en viennent donc à court-circuiter la personne Le profilage algorithmique, dans le domaine du marketing, permet l’exploitation des pulsions conformistes ou addictives dont les individus peuvent préférer n’être pas affectés. C’est bien d’un court-circuitage des processus réflexifs qu’il s’agit en ce cas.
La mention de profilage algorithmique, suite logique de l’évocation des algorithmes, amène naturellement à évoquer ceux utilisables par la justice pour condamner ou maintenir en détention une personne : Beaucoup des éléments qui font la complexité d’une personne échappent à la numérisation.
Ce qui amène à sa conclusion :
Les algorithmes sont toxiques si nous nous en servons pour optimiser l’intolérable en abdiquant de nos responsabilités – celle de nous tenir dans une position juste par rapport à notre propre ignorance et celle de faire usage des capacités collectives que nous avons de faire changer le monde. Les algorithmes sont utiles, par contre, lorsqu’ils nous permettent de devenir plus intelligents, plus sensibles au monde et à ses habitants, plus responsables, plus inventifs. Le choix de les utiliser d’une manière paresseuse et toxique ou courageuse et émancipatrice nous appartient.
puis à la mienne :
merci, madame.
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