Questions anthropologiques autour de Zoé

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Zoé est un film de Drake Doremus sorti sur Netflix en 2018 et qui évoque la question souvent traitée au cinéma, mais pas toujours avec bonheur, des robots humanoïdes dotés de conscience. Amorcée notamment par le film Blade runner (1982) cette question n’a cessé d’être traitée par différents cinéastes. Il est d’ailleurs étonnant de remarquer que, si ces derniers ont une production souvent intéressante sur quelques questions d’anticipation, le thème des robots humanoïdes conscients et, d’une manière plus générale, celui des développements cyber, est traité de manière assez peu convaincante.

En ce qui concerne le cas des robots humanoïdes conscients, peut-être est-ce dû à l’incapacité d’évoquer sereinement cette question dans des cénacles non artistiques, les cinéastes se faisant alors simplement l’écho de l’aporie ambiante ?

Toujours est-il que, malgré ces limites, ce film soulève des questions intéressantes.

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L’histoire traite d’une femme, Zoé, employée dans un centre de recherche révolutionnaire dont le but est de mettre au point une technologie destinée à améliorer les relations amoureuses. Des robots humanoïdes conscients appelés synthétiques1 sont un des éléments de cette recherche. Zoé, voyant naître en elle des sentiments amoureux envers Cole, le concepteur des robots, va être amenée à découvrir qui elle est vraiment.

Trois grands thèmes de réflexion sont abordés par ce film : ce qu’est une machine, la nature de la vie biologique (à savoir celle de l’ensemble formé par les organes du corps humain) et la vie intérieure.

La machine

Les premières minutes sont intéressantes, car elles posent d’emblée des questions fondamentales sur la machine, ce que peut le logiciel, et les biais inhérents à chaque conception.

Ainsi, Zoé déclare à des acheteurs potentiels : « L’avenir ne se trouve pas dans le logiciel, il est en vous », phrase pouvant être interprétée soit comme un lieu commun (tel que security by design, par exemple) ou de manière plus profonde en incitant à développer une véritable vie intérieure et non à se laisser porter par les événements.

De même, un concepteur de robots se voit objecter que la vision du monde qu’aura le robot qu’il est en train de mettre au point « correspondra à la tienne, car c’est toi qui l’a conçu », répondant ainsi à la question de l’autonomie réelle des machines et des biais qui y résident.

Par la suite, une scène dans une maison close où tous les « employés » sont des robots résume bien la question permanente au sujet des robots indistinguables des humains à première vue2 : prendront-ils la place des hommes, ou seront-ils volontairement relégués aux tâches subalternes3 ?

La vie intérieure

Les thèmes de la conscience et du ressenti des robots humanoïdes étant les plus souvent évoqués au cinéma, il était attendu qu’ils le soient également dans ce film. Malheureusement, et comme tous les autres films, il fait l’impasse sur la question de l’apparition de la conscience et des sentiments chez ces robots humanoïdes, ce qui nous prive d’une réflexion intéressante.

Ce préalable accepté, sachant que les cinéastes ne nous laissent pas le choix, les réflexions subséquentes sont néanmoins intéressantes.

Le robot humanoïde conscient et ressentant des émotions se voit ici confronté à une réalité qu’il n’avait pas envisagée lorsque Zoé, suite à un test de compatibilité amoureux négatif avec Cole (aucune chance qu’une relation amoureuse n’apparaisse entre eux), apprend qu’elle est un synthétique et que Cole est son concepteur… Et voilà notre robot plongé dans des réflexions potentiellement infinies.

La question des ressorts de la séduction est aussi évoquée (sur quoi se fonde-t-elle, comment et combien de temps dure-t-elle), puisqu’un synthétique est capable de séduire un humain.

Face au vide de sa vie intérieure et bien qu’elle soit un synthétique, Zoé tente de mettre fin à ses jours lorsqu’elle se rend compte qu’elle est le prototype d’une foule de synthétiques ayant ses traits physiques, ce qui l’amène à se remettre (encore) en question et, malgré tout, à pardonner à son concepteur (Cole) qu’elle a aimé. Mais une machine est-elle capable de pardonner ?

La vie biologique

Ce thème est intéressant, car il est assez peu développé dans les fictions, le postulat étant que les robots humanoïdes vivent, mais avec des caractéristiques particulières sur lesquelles personne ne revient (recharge électrique indispensable dans la série Humans, fluides internes particuliers, etc.).

À l’occasion d’un départ en week-end de Cole et Zoé, ce thème est implicitement évoqué, puisque le réalisateur montre qu’un être humain ne se résume pas à ses cinq sens et ses émotions. Si les caractéristiques physiques du corps humain sont souvent esquivées dans les films, des problèmes demeurent : un humanoïde doit être étanche pour pouvoir mener la même vie que les humains et donc se baigner dans un lac. Sa peau doit avoir un minimum d’élasticité. Peut-il ressentir la douleur, souffrir, se rappeler des moments passés ?

Comment les événements se logent-ils dans sa mémoire ?

Et, puisqu’il est capable de ressentir des émotions, à quelles conditions se déclenche l’orgasme humanoïde (oui, il y a un passage destiné à réveiller le public masculin qui se serait assoupi…) ?

Une autre scène intéressante est celle de l’accident de la circulation : Zoé, renversée par une voiture se retrouve inconsciente4 et Cole écarte les badauds afin qu’ils ne se rendent pas compte que c’est un synthétique. À cette occasion, le thème du « vivre ensemble » apparaît. Sachant qu’il est déjà compliqué de vivre entre humains, comment se passerait une cohabitation avec des humanoïdes5 ? Cole va néanmoins réparer Zoé qui montrera une certaine anxiété avant d’être « partiellement désactivée6 » juste avant la réparation.

Dernière question relative à la vie simplement biologique, celle de la mort. En effet, un autre robot humanoïde conscient déclare à Zoé « il est prévu que je sois retiré de la circulation dans trente-sept jours, à mon initiative d’ailleurs. » Et le débat est entier, Zoé ne voulant pas voir désactivé un robot humanoïde conscient qui était tombé amoureux d’elle, quand bien même c’est un synthétique…

Conclusion

Il est clair que la compréhension d’un film dépend de celui qui l’a vu et que son réalisateur pourrait être étonné de voir soulevées des questions auxquelles il n’avait pas pensé.

Ces questions d’actualité sur les robots humanoïdes soulèvent forcément celles relatives à la vie humaine, sa singularité, la tenancière de maison close déclarant « n’est pas humain quelque chose qu’il n’est pas possible d’éteindre », voire son unicité. Se pose aussi celle du relativisme, Zoé déclarant à Cole « tu ne pensais pas éprouver cela pour une machine, dis-moi que pour toi je suis réelle » Cole finissant par lui répondre « tu es plus réelle que tout ce que j’ai pu connaître. »

Un parallèle peut être effectué entre ce film et « Her » de Spike Lee réalisé en 2014 dans lequel un homme tombe amoureux d’une intelligence artificielle installée sur son ordinateur. Tout se passe bien jusqu’à ce que l’homme se rende compte que cette IA parle à 8316 autres personnes simultanément, et est amoureuse de 641 personnes en même temps. L’amoureux transi se demande alors fort justement s’il a du prix aux yeux de cette IA.

Un autre point commun entre ces films est leur faible exposition médiatique. Est-elle due à une façon inintéressante de traiter le sujet de la vie, ou à une volonté du public de ne pas être interpellé pour le traiter dans toutes ses composantes ?


1Nous voilà proches de la série télévisée Humans.

2S’il est possible un jour d’en fabriquer…

3Comme c’est le cas dans la série Humans.

4Au fait, à quoi est dû ce phénomène chez un humanoïde ?

5La série Humans y répond à sa façon, en montrant que c’est l’apparition d’une conscience individuelle chez les synthétiques qui serait la source des problèmes de cohabitation. Tant qu’ils sont de simples machines aux ordres des humains, la cohabitation est possible, les problèmes naîtraient de leur conscience qui les mènerait à revendiquer une vie libre.

6Cette désactivation partielle pouvant se rapprocher d’une anesthésie.

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